Notre Président aurait-il peur de la folie ?
Emmanuel Constant (président du CA de Ville-Evrard - vice pdt du Conseil général du 93)
Le «président des fous». C’est ainsi que mes collègues m’appellent lorsque je me rends à une séance du conseil d’administration de
l’hôpital de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis), un des plus «grands» hôpitaux psychiatriques de France. Faire allusion à Victor Hugo
et à la cour des miracles de Notre-Dame-de-Paris en transformant un roi en président montre que mes collègues ont des lettres. Cependant,
cela traduit surtout une forme de profonde méconnaissance de ce qu’est la psychiatrie aujourd’hui en France. Cela témoigne aussi d’une
forme de crainte que la maladie mentale a toujours inspiré. C’est cette crainte qui a, dans le passé, poussé les Etats à rejeter, exiler,
délaisser, laisser mourir les malades mentaux dans des conditions indignes. Peu de gens savent que, par exemple, lors de la débâcle de 1940,
les fous ont été abandonnés dans les asiles et sont morts de faim.
Grâce à un travail patient et militant, des médecins ont entrepris de banaliser la maladie mentale.
Ce long travail de persuasion visant à expliquer que les fous avaient leur place dans notre société, qu’ils devaient vivre et être
soignés, que ces soins ne devaient pas se traduire par un bannissement, a donné des résultats probants que plus personne ne conteste ;
cela s’appelle «la psychiatrie de secteur».
En Seine-Saint-Denis, l’hôpital de Ville-Evrard a en charge 80 % de la population du département. Le site historique asilaire de
Neuilly-sur-Marne existe toujours mais l’hôpital est aujourd’hui un ensemble de près de quatre-vingt-dix structures de soins (CMP,
CATTP, hôpitaux de jour…) réparties sur l’ensemble du territoire. Ce maillage, outre qu’il permet de suivre les patients au plus près
de leur famille, a permis de rendre visible la maladie mentale, de la normaliser, de la déstigmatiser et de sortir les familles des
patients du repli honteux et coupable dans lequel elles vivaient trop souvent. Evidemment tout n’est pas réglé pour cette spécialité
de la médecine qui apparaît encore comme une «discipline étrange» pour laquelle le plateau technique se limite bien souvent à la capacité
de penser et de réfléchir des soignants.
Le président de la République aurait-il peur de la folie ? En effet, à chaque fait divers impliquant un malade mental ou une personne
ayant eu ce que l’on appelle pudiquement des «antécédents psychiatriques», Nicolas Sarkozy s’en saisit et propose de renforcer encore
plus les logiques d’enfermement, de surveillance, d’exclusion. Sa récente visite à l’hôpital psychiatrique d’Antony en est la dernière
et triste illustration. L’acharnement de notre Président sur les malades mentaux commence à faire réfléchir certains médecins qui se
livrent à des analyses dans lesquelles ce rejet de la folie se lit comme un déni. D’où vient cette obsession, cette crainte presque
visible, cette volonté d’écarter, d’enfermer ? Je ne suis pas médecin et, par ailleurs, j’ai cru comprendre que le délit d’outrage
au chef de l’Etat était courant ces derniers temps. Pour ces deux raisons je n’irai pas plus loin dans ce registre.
En revanche, comment ne pas voir de façon certaine ce vieux ressort de la politique de Sarkozy qui consiste à dresser les individus
les uns contre les autres? Que le Président cherche à opposer les travailleurs aux chômeurs, les salariés du secteur privé aux
fonctionnaires, les ruraux aux urbains, les habitants des centres-villes aux banlieusards ou encore les Français aux étrangers est
déjà une façon étrange et dangereuse de faire de la politique, mais cela devient navrant et obscène quand il s’agit de transformer
des malades en criminels pour mieux rassurer le peuple. Il n’y a pas de solution miracle aux «passages à l’acte». Le prétendre serait
mentir.
Par ailleurs, les malades mentaux sont plutôt moins impliqués que les individus sains de corps et d’esprit dans les crimes de sang.
Pour peu qu’on s’y attarde un peu, les statistiques montrent que les fous sont bien plus souvent des victimes que des criminels.
Plus que tout autre patient, le malade mental est le plus vulnérable de tous les malades. Plus que le cancéreux ou le malade du sida,
il est l’objet de rejet de la part d’une société qui le craint car elle ne le comprend pas. Plus qu’aucun autre, il doit être protégé,
de lui-même et de ceux qui le condamnent à l’exil et l’incarcération. Au lieu de cela, notre Président renforce l’exclusion et flatte
les bas instincts de ceux qui ne voient que du danger et pas la maladie. L’utilisation politique des faits divers récents
(et numériquement marginaux) dans lesquels sont impliqués des malades mentaux a vocation à nous faire oublier les moyens toujours
plus contraints mis à disposition de la psychiatrie. Entre des budgets hospitaliers en réduction constants,
l’absence d’une revalorisation de la profession infirmière qui assèche les sources de recrutements, une démographie médicale
inquiétante dont les conséquences à court terme vont se matérialiser par une diminution du nombre de praticiens hospitaliers,
l’Etat organise la pénurie des structures de soins les moins «rentables» pour confier au secteur privé ce qui est le plus lucratif.
La psychiatrie, maillon faible de la chaîne, peuplée de médecins intellos, d’infirmiers militants et de patients muets et inquiétants
sera la première victime de cette logique.
Est-il plus utile d’organiser l’emprisonnement des enfants de 12 ans que de réduire à moins de six mois l’attente pour avoir un
rendez-vous avec un pédopsychiatre ? Bientôt, si la pente amorcée par le président de la République se confirme, l’hôpital psychiatrique
reviendra cinquante ans en arrière. Bientôt, si les investissements de l’Etat se limitent au rehaussement des clôtures, la mise en place
de caméras et le renforcement des contrôles, la psychiatrie moderne aura vécu pour être remplacée par un modèle carcéral.
Monsieur le Président, s’il vous plaît, faites un effort. Apprenez que les fous sont avant tout des malades.
Apprenez qu’ils méritent au moins autant que les autres patients votre sollicitude, votre soutien et votre estime.
Jugez-les comme des individus dont la souffrance est indicible. Aidez-les. Vous aussi, devenez le «président des fous» !